« Ca changerait tout »
« 85% des métiers de 2050 sont digitaux. Aux femmes de les prendre »
« Le numérique est en train de créer un nouveau monde. On ne peut pas le faire qu’avec 50% de la population »
« Ca changerait la vie des femmes »
4 punchlines par lesquelles démarre ce meet-up du 22 octobre 2021 autour du sujet des femmes dans la tech. Les Change Makers invités* ont échangé autour des principales thématiques sur les grands enjeux de la tech, les bonnes pratiques pour attirer plus de femmes vers ces métiers, les perspectives d’avenir s’il y avait plus de femmes dans la tech. Et une séquence de Q/R avec les internautes.
Voici quelques-unes de mes notes si vous êtes sensible à la question des femmes et du numérique.
*Caroline Ramade : fondatrice de 50 in tech
Marie-Christine Levet : fondatrice d’Educapital – 1er fonds européen dédié à la Edtech. Fondatrice de Lycos et Club Internet
Axel Dauchez : co-fondateur de Make.org, plateforme de mobilisation citoyenne au service de la société
Guy Mamou-Mani : co-president du Groupe Open et cofondateur de « Jamais sans elles », militant pour la parité dans les évènements et dans les échanges
Les grands enjeux
A peine 20 % des élèves de X, Centrale, Mines, … représentent des femmes. Là où les filles représentaient la majorité des effectifs dans les filières scientifiques jusqu’en terminale. Et seulement moins de 20% dans le monde du travail.
Or, tout le monde a à y gagner à avoir plus de femmes dans les techs. Les femmes, la tech, la société.
Un enjeu de représentativité des expériences utilisateurs
Dans le secteur de l’Intelligence Artificielle, il n’y a que 10% de femmes ; alors que c’est l’outil de création de ce nouveau monde. Sans les femmes, on y retrouvera tous les défauts de l’ancien monde. Sans oublier que 50% des utilisateurs de la tech sont des femmes. Il est nécessaire de créer de produits qui s’adressent à tout le monde, et pas uniquement des produits pensés par des hommes dont l’imaginaire ne peut couvrir les réalités des femmes. En cela, c’est un secteur qui offre des opportunités de carrière aux femmes.
Rendre cette tech saine et égalitaire
Enjeu majeur des fondateurs, des entreprises et des écoles. Ce ne sont pas que les femmes qui ne veulent pas de la tech, c’est la tech qui ne veut pas d’elles. La tech n’est pas largement inclusive, elle montre des comportements toxiques. Les femmes vont dans ses écoles qui ne les traitent pas bien. Les entreprises ne les traitent pas bien. Il faut s’occuper de celles qui sont dedans, retenir le pipe de celles qui y sont présentes, car nombreuses sont aussi celles qui quittent le milieu. Et faire cesser le système de censure sociale, pour arrêter l’auto-censure. Le travail d’inclusion des entreprises est primordial.
Une réponse aux inégalités domestiques
En matière d’inégalités, les femmes sont en 1ère ligne, on l’a vu pendant la crise COVID. Des inégalités pas uniquement liées aux salaires, mais aussi celles à l’accès aux postes. Les métiers de la tech peuvent apporter une mise en cohérence plus facile dans l’équilibre de la vie pro/privée au bénéfice des femmes notamment par la possibilité du travail à distance – même si cela ne résoudra pas tout. Cela va contribuer à alléger l’inégalité liée à la charge mentale, limitant l’impact sur la vie pro.
Un enjeu de diversité, d’innovation et de performance
Dans les entreprises, l’enjeu au centre est celui de la diversité. On ne peut pas faire d’innovation sans diversité (diversité culturelle, ethnique, linguistique, etc.). Au-delà de la dimension de la performance, de l’invention des produits, de l’expérience utilisateurs, on peut éviter les erreurs.
Mais surtout, une histoire d’aventure collective
Au sein de l’entreprise, il se passe une aventure collective. La diversité change l’aventure collective. On débat, on apprend l’empathie, à voir les choses sous un autre angle. On apprend à avoir confiance. On a tous des bouts de chemin à faire et la vie en entreprise, c’est une petite vie faite d’interactions, de points de vue différents. Se battre contre les inégalités, c’est se battre pour s’offrir une aventure collective plus riche.
Des bonnes pratiques pour amener plus de femmes à choisir ces métiers
Démystifier et expliquer la tech
La tech ne se limite pas au cliché du geek d’antan. La tech a besoin de marketeur, de designer, de vendeur, de logisticien, d’assistante sociale. Le mot « tech » peut faire peur. On pourrait parler de digital ou de numérique par exemple. Seules 15% des jeunes étudiantes choisissent la filière SMT, alors que beaucoup de métiers sont pourtant très adaptés.
Incitation à garantir des jobs devant l’arrivée massive de femmes en reconversion
Un nombre massif de femmes en reconversion professionnelle venant de France, d’Allemagne, d’Angleterre…. cherchent du travail (des codeuses, data scientist, back end officer…). Les entreprises doivent être à la hauteur des enjeux face à ces femmes qui opèrent des tournants de vie vers l’âge de 30-35 ans et qui ne trouvent pas d’emploi. Les grandes entreprises CAC40 et FTC 100 peuvent éventuellement mettre en place des programmes (ex : Orange Campus), mais besoin d’aller encore plus loin. On doit pouvoir garantir des jobs et favoriser des rencontres en amont avec des mentors pour les femmes qui n’ont pas été bien aiguillées.
Le POEC : Préparation Opérationnelle à l’Emploi Collective
Face à ce gâchis de ne pas pouvoir s’occuper des reconversions, il y a le POEC, un plan opérationnel de retour à l’emploi (individuel ou collectif). Les femmes qui veulent aller dans le numérique peuvent demander le financement de leurs formations par un OPCO et se voir assurer une mise en relation avec des entreprises qui s’engagent à recruter suite aux formations. Open vient de lancer 3 POEC qui vont inviter les femmes à les rejoindre. Les femmes peuvent s’inscrire sur ces formations avec un engagement de recrutement. Le dispositif est valable dans toutes les régions de France. Plusieurs milliers de personnes sont formées chaque année.
Créer des rôles modèles
Il n’y a pas assez de femmes qui créent des entreprises dans la tech. Moins de 15% de femmes cofondatrices dans les « deal flow » (proposition d’investissement). Il est nécessaire de créer des rôles modèles pour que dès le plus jeune âge, les jeunes filles puissent être inspirées. Les jeunes filles qui avaient regardé X-files allaient plus facilement vers les secteurs scientifiques. Quand on aura des mères ingénieures, on aura des filles ingénieures.
Proposer des contre-biais
Plus une entreprise est petite, plus on observe une tension dans le recrutement entre un choix de diversité et de personnes qui font le job. Dans une grande boite, on peut faire des filières, il y a du temps long. Mais avoir une dirigeante envoie de nombreux signaux en interne dans les comportements des hommes (ex : co-fondatrice Alicia Combaz de Make.org). Ca enlève de nombreuses choses lorsque tout en haut il y a des femmes. Ca envoie des signaux dans les entretiens d’embauche. Ca enlève les biais qu’un homme aurait envie de se dire. C’est une façon de mettre un contre-biais, sans rien dire, juste en montrant.
Déconstruire les stéréotypes dès le plus jeune âge et opérer des prises de conscience
La société entière doit s’emparer de ce sujet. Les parents doivent déconstruire les stéréotypes. Des cours de code existent et seulement 28% de filles s’y inscrivent. Elles sont exclues de certains jeux qu’on va offrir aux enfants. Il y a aussi une prise de conscience à opérer du côté des femmes. Dès qu’un sujet se rapproche des questions du pouvoir, elles s’éloignent. Elles se mettent elles-mêmes des contraintes. Même si ce sont des sujets d’éducation qui s’inscrivent dans un temps long, il est possible d’aller vite si les associations vont témoigner dans les écoles. C’est un enjeu politique. Exemple : la production de dessins animés « Chouette-Pas chouette » déconstruisant des stéréotypes sexistes à destination des 4-6 ans a eu 90% de notoriété.
Quelles visions ? Quelles perspectives ?
Ca changerait vraiment quoi ?
Une société mixte représentée par une tech mixte
Les années à venir vont montrer de gros bouleversements. Des métiers seront supprimés, des métiers seront créés. En, 2050 nous observerons des métiers pas encore été inventés et qui seront dans le digital. Le digital ne peut pas être construit avec seulement 50% de la population. Ce sont les sociétés mixtes qui apportent le progrès. Sans que les filles soient cantonnées au marketing, à la com et aux RH, car présenter l’avenir des filles ainsi ne permet pas de les diriger dans les équipes d’expert ou de design produit. L’ergonomie des produits utilisés par des femmes doivent être conçues par des femmes pour qu’ils soient adaptés.
La performance des entreprises et la façon de piloter les équipes
Ça changera la performance des entreprises. Les produits seront différents. On évitera d’énormes erreurs comme ce fut le cas par exemple lors de la conception des airbags, fabriqués avec un prisme d’homme. Le changement sera beaucoup plus profond sur la manière de piloter les équipes de tech. Ca changera la nature des entreprises. On profitera de la transversalité des équipes du tech où les dev pourront parler, échanger, prendre en compte les contraintes externes, se les approprier. Une femme qui a fait le chemin de la tech est plus apte à aller dans d’autres services de l’entreprise, facilitant la transversalité et la compréhension du monde du tech avec le reste du monde.
Se décentrer de l’ego et revaloriser les singularités
Les femmes représentent 50% de la société. Ca change ainsi totalement la façon de travailler. On pense totalement différemment. L’ego n’est plus au centre, là où aujourd’hui, cet ego ne convient même plus aux hommes. Que les femmes n’aient plus à se poser la question à choisir entre avoir un enfant et être maman ou obtenir des financements pour leurs entreprises (2,2% aujourd’hui). Que chacun puisse être soi-même sans communautarisme, que les personnes ne se sentent plus entravées. Qu’on gagne en fluidité, que la culture d’entreprise se construise avec ce qui est plutôt que chercher à inscrire des gens dans une culture figée.
Un meilleur équilibre familial pour un monde meilleur
La période de la pandémie a été un catalyseur de la révolution numérique. En quelques mois, on a vu le futur, et l’impact sur le rapport au temps, la distance, le contrat. On se prépare pour dans 5 ans, car on a vu que la formation du numérique ne concerne pas que les métiers du numérique, mais bien tout le monde. Nous serons tous utilisateurs. Dans quelques années, on vivra dans un monde plus équilibré, plus juste, plus serein. Et tout le monde devrait se battre pour la féminisation, etaspirer à un équilibre pro/perso pour les femmes. Car les hommes rêvent aussi d’un meilleur équilibre. En se battant pour l’équilibre des femmes, ils se battent aussi pour le leur.
Pour conclure avant la séquence Q/R
Une étude menée et publiée dans Challenge montre que le métier du numérique est le 5ème métier rêvé des parents pour leurs enfants : 1/ ingénieur 2/ médecin 3/avocat 4/ ? 5/ numérique
Concernant les rôles modèles, nous avons besoin de mettre en visibilité les femmes pour leur permettre de générer l’envie auprès des jeunes. Aller dans le sens de « Je ne viens pas aux tables rondes s’il n’y a pas de femmes ». Il n’y a pas nécessairement besoin d’avoir un plan stratégique pour changer les choses, il faut mener des actions concrètes : POEC, formation au coding, implication des hommes, etc.
Le numérique va permettre d’avoir un équilibre familial contrairement aux idées reçues. Par exemple, à travers la remise en question du présentéisme (8h-20h).
S’opère une prise de conscience à tous niveaux. La question sur les quotas des administratrices a fait craquer des sphères fermées.
500 entreprises de jeunes entreprises sont dans la tech. Le monde de la tech va très vite. Il sera l’espace de très belles opportunités au vu de la rapide progression. Les métiers y sont passionnants et le secteur est prometteur de belles évolutions de carrière contrairement au plafond de verre qu’on observe dans les grosses entreprises. C’est un secteur qui offre de belles opportunités pour interroger les gens en masse.
La formation initiale devient moins critique que toutes les formations continues réalisées au fil de la vie. On va changer de métier 10 fois. Les femmes vont pouvoir en profiter avant même que les écoles d’ingénieur ne puissent entamer leur transformation, car le monde de la tech va vite. Très vite.
Session Q/R
Comment changer l’image du tech masculin ?
- En affirmant l’égalité salariale au préalable. Cela peut être un réel levier d’attractivité en montrant que les femmes seront payées comme les hommes.
- En montrant des rôles modèles de femmes qui sont entrées dans la tech. Les rendre visibles dans les écoles. Donner des exemples. Le rôle modèle explique la potentialité qui se cache derrière. Il permet aux enfants de voir que c’est possible et de demander aux femmes de raconter ce qu’elles ont pu accomplir. A contrario de l’image du geek
- En dégenrant la tech. Ni un métier d’hommes, ni un métier de femmes « gender fluid ». Ne pas laisser dire ni croire que le « remote » (travail à distance) c’est féminin
- En surfant sur les tendances plutôt qu’en les créant. L’image du geek en T-shirt est en train de changer. Dans les datas, les gens ne sont pas du tout dans cette culture là ; on retrouve parfois presque des « dandy ». Grâce aux fonctions produits et data, les équipes se mixifient, les blocages liés à un stéréotype par définition très masculin sont en train de tomber. Les femmes ne se disent plus qu’elles seront la seule jeune femme en intégrant l’équipe.
Comment fait-on pour attirer les 1ères femmes quand il y a déjà des gars ? Les quotas suffisent-ils ?
- Pour les candidats, étudier les entreprises qui recrutent : comment elles agissent et mesurer l’intentionnalité à bouger. Ne pas se confier au mkt affiché par l’entreprise. Aller sur linkedin, « scrapper », « pinger », parler, demander. On a le pouvoir de choisir des entreprises qui ont fait des pas vers l’inclusion. 49 millions de job, 190 millions et 79% de software engineering 2025. La guerre des talents dans la tech s’annonce.
- D’ailleurs, pub de recrutement chez Open indique aux candidats « recrutez-nous ».
- Modèles : Sophie Viger, directrice Ecole 42. Elle est passée de 5% à 25-30% de femmes en très peu de temps en appliquant une politique volontariste.
- L’EPITA IA Institute (dépendant de l’EPITA), étant une nouvelle école, a inscrit dès le début la mixité. Autre rôle modèle : Laurence Villers
Pour prendre en main ce problème, doit-on privilégier un homme ou femme à l’embauche à compétences égales, quitte à rentrer dans cette discrimination.
- La problématique n’est pas tout à fait la même dans une grosse boite ou une petite boite car pas autant de recrutement dans une petite structure. Il peut être difficile de définir des quotas dans une petite structure. Une proposition pragmatique serait d’obliger à ce que dans la short-list finale, il y ait un équilibre. Cet objectif est accessible, car il faut bien être vigilant qu’au moment où on recrute, il se passe plein de choses, il y a plein de biais, etc. Ca commence d’abord par évaluer à compétences égales. Et seulement ensuite, on sélectionne le genre qui n’est pas suffisamment représenté (homme ou femme). C’est la responsabilité de chaque dirigeant.
- En 20 ans de boîte, aucune femme n’est venue me demander une augmentation contrairement aux hommes. Ce n’est pas celui qui demande qui doit être servi. Là aussi, c’est la responsabilité du dirigeant
- Face aux réponses « je privilégie la compétence » et « je ne trouve pas de femmes à égales compétences « , il faut « se fatiguer un peu pour aller chercher des femmes compétentes ». Quand vous cherchez, vous trouvez.
- Beaucoup de femmes se sentent coupables d’avoir été promues, et les hommes ne cessent de leur rappeler qu’elles ont été promues parce qu’elles sont des femmes. « Moi quand je veux être promue, je veux être promue pour être une femme mais d’abord pour mes compétences ». Il y a une crainte chez les hommes d’un sentiment de perte qui craignent de ne plus être promus et augmentés. Mais trop de nombreuses années à rattraper.
- « Une femme serait vraiment l’égal d’un homme le jour où à un poste important, on élira une présidente incompétente. »
- Exemple d’un CA qui nommait une femme à la tête de ce CA, ce à quoi elle disait « je ne suis pas capable ». La réponse fournie : « C’est bien pour ca qu’on te nomme. Si tu pensais que tu savais faire le job, tu ne serais pas la bonne personne pour faire le job. » Si tu n’as pas conscience que tu ne sais pas tout, c’est un problème.
- Exemple à des Assises. Un directeur d’Ecole était très proactif sur le sujet. Il avait essayé de mettre en place une sorte de discrimination positive. La seule personne qui s’était opposée était la représentante des élèves. « Parce que ça va dévaloriser mon diplôme ». Il est important de débloquer cette mentalité chez les femmes aussi.
Pour conclure cette séquence
Les inégalités se creusent dès la naissance du 1er enfant.
- Ça commence aux anniversaires d’enfant où ça se mélange de moins en moins
- Jusqu’au lycée où la sauce se remélange.
- Puis le foot à la cour d’école qui a généré un débat politique au sein de l’école.
- C’est dans la cour de l’école que se construisent les stéréotypes et que l’écart se creuse. Puis au collège que se crée le décrochage. Question de manque de confiance en soi ? d’histoire personnelle ?
Derrière l’enjeu des femmes, il y a un enjeu de sexisme. Très surprenant car les femmes représentent moins de 10% dans les postes de data scientist alors que des noms de femmes ont été donnés dans les objets/chatbot avec des biais (Alexia, Siri, etc.). Sans compter les enjeux de diversité : les personnes de couleur ne sont pas reconnues par la reconnaissance faciale.
Exemple de cette application en incapacité de reconnaitre « j’ai été violée » car c’est un cas d’usage qui n’avait pas été pensé par les hommes. Les sciences sociales peuvent contribuer à la tech.
Pour finir, une expérience a été menée en Pologne dans une ville où régnait le chômage de masse. Ils ont fait le choix de former toutes les personnes de cette ville en assurant des jobs garantis dans la tech. 0% de chômage aujourd’hui. Principe de l’Ecole 42.